• MAMMUTH de Gustave KEVERN et Benoît DELEPINE

     

     

     

    mammuth

     

    Gustave Kervern et Benoît Delépine continuent de tracer leur route singulière au sein d'un cinéma français de plus en plus conformiste et ankylosé dans ses propres contradictions. Les deux compères qui sont surtout connus du grand public part leur participation régulière aux émissions de Groland sur Canal+ reviennent donc pour un quatrième film qui creuse le sillon de leur univers à la fois absurde et désespérant. Mammuth est un film qui ne s'impose pas fatalement à sa première vision mais qui vous trotte ensuite longtemps dans la tête comme un sentiment paradoxale de joyeux cafard. Mammuth est une œuvre malade, sans doute bourré de défauts, mais qui possède la qualité primordiale des grands films celle d'avancer tête baissée dans un univers personnel et radical quitte à laisser une grande majorité de spectateurs sur le bord de la route.

     

    Mammuth est un film d'actualité sans le vouloir et une comédie sociale dans la veine de Louise Michel le précédent film de Kervern et Delépine. Serge Pilardosse (Gerard Depardieu) est un ouvrier modèle de la vieille école, un type qui bosse sans interruption depuis qu'il a seize ans sans se plaindre, sans jamais être en retard ni malade. Puis arrive l'heure de la retraite et pour Serge c'est l'ennuie mortel et les problèmes administratifs puisque il lui manque quelques attestations et feuilles de paye pour toucher ses indemnités de retraite. Poussé par sa femme et le besoin de pognon Serge enfourche sa vieille moto et part à la recherche de ses anciens employeurs afin de récupérer quelques attestations manquantes, un retour vers le passé qui pourrait marqué pour Serge à la fois une rédemption et une nouvelle jeunesse....

     

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    Tout comme dans Louise Michel le duo Gustave Kervern et Benoît Delépine dressent avec Mammuth le portrait acerbe et désespéré d'une société dans laquelle la poésie de gens broyés par la médiocrité du monde reste un unique motif d'espoir. Sans être un grand film à thèse sociale sur le travail, le mérite ou encore la retraite Mammuth dessine par petites touches les contours d'un monde terne et abscons qui pue la suffisance et la résignation de ceux qui le construise. Au cours de son périple Serge Pilardosse croisera donc une galerie de personnages semblant tous se débattre pour survivre comme un boucher travaillant sans passion, un videur agressif et exploité, des administrations procédurières, des patrons vivant dans des bâtiments clos déconnectés du monde, d'autres exploitant avec cynisme la misère de leurs ouvriers, des voleuses, des combinards et des chercheurs de trésors. Quand au personnage de Serge Pilardosse il ressemble à un immense géant ayant passé toute sa vie le nez dans son travail et qui se retrouve d'un coup totalement inadapté au quotidien et à l'ennuie, un homme qui a tellement oublier de vivre en dehors du ronronnement de sa vie d'ouvrier qu'il ne sait plus vraiment comment affronter le temps qui passe. Fatalement le film nous renvoie en pleine face et avec violence notre soumission aux usages et aux règles d'une société aussi absurde qu'elle soit dans laquelle nous passons paradoxalement une grande partie de notre vie sans vivre pour simplement nous conformer à des modèles que nous ne cautionnons pourtant pas forcément. Mammuth est un film terriblement violent dans le regard qu'il porte sur le monde et sur les rapports entre les hommes, une fable à la fois malade et mélancolique sur la vie trop ordinaire que nous vivons presque tous. Un univers bien pitoyable d'indifférence et impitoyable de médiocrité le plus souvent construit sur des illusions passés dans lequel Delépine et Kervern ne place finalement que l'amour et l'art comme ultime échappatoire possible.

     

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    Pour leur quatrième film Delépine et Kervern s'offre un casting quatre étoiles en réunissant deux des plus grosses stars françaises à savoir Gerard Depardieu et Isabelle Adjani. Cela fait bien longtemps que l'on avait pas revu au cinéma un Depardieu aussi imposant par sa stature de monstre sacré et convaincant par la justesse et l'émotion qu'il dégage dans son jeu. Quand à Isabelle Adjani elle incarne une sorte de conscience perdue et diaphane, un passé possible mais révolu, un fantôme d'illusions, un amour de jeunesse qui tente de secouer cet homme afin qu'il reprenne enfin un peu sa vie à son propre compte. On retrouve également Yolande Moreau déjà présente dans le film précédent du duo qui livre encore une fois une composition magnifique incarnant avec justesse et beaucoup d'humour la femme de Serge. Et puis autour de ce noyau dur de comédiens vient graviter la petite famille artistique de Kervern et Delépine et quelques invités totalement dans l'esprit des deux compères. Le film offre donc une belle galerie de personnages et donc un joli défilé de comédiens professionnels ou non comme Siné, Dick Annegard, Benoit Poelvoorde, Anna Mougladis, Bouli Lanners, Philippe Nahon, Blutch, Noel Godin, Bruno Lochet ou Catherine Hosmalin. Mais la vraie révélation du film reste incontestablement Miss Ming une jeune comédienne et artiste qui incarne ici un rôle très proche de sa propre personnalité. Miss Ming est plasticienne, comédienne, chanteuse et poète et semble vivre sur une autre planète ayant fuit la matérialité des contraintes du monde pour trouver refuge dans un univers totalement décalé, enfantin et surréaliste. Un personnage hors norme et absolument génial qui convient parfaitement au film et à l'univers de Mammuth et qui va servir ici de contrepoint poétique au monde, comme une alternative semblant nous glisser au creux de l'oreille qui si ce monde ne nous convient pas il ne tient qu'à nous d'en inventer un autre. Miss Ming est un vrai personnage dans le film comme dans la réalité, une jeune fille fragile et déconnectée de la violence du monde, enfermée dans ses propres rêves et créations; une figure presque symbolique de l'enfance et un petit bout de femme que je trouves personnellement totalement bouleversant.

     

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    Fort heureusement le film de Gustave Kervern et Benoit Delépine tout en étant particulièrement dépressif est aussi très drôle même si c'est un humour souvent bien méchant appuyant sur la bêtise et la suffisance ordinaire comme ce discours de départ en retraite couvert par le craquement monotone des chips, ce VRP dans un routier minable craquant au téléphone lorsque sa fille lui reproche son absence ou encore un croque mort demandant aux tombes alignés d'un cimetière qui a envie de racheter des trimestres. On s'amuse aussi beaucoup de la gouaille et des répliques d'une Yolande Moreau dans une forme olympique. La comédienne est hilarante en poissonnière, lorsqu'elle tente d'épeler son nom à un serveur vocal ou encore lorsqu'elle entreprends une expédition punitive pour aller exploser la gueule de la pute qui lui a piqué son portable avec quelques répliques formidables comme « Tu crois qu'une maigre ça tient dans un sac à gravats de 160 litres? Bon, ben prends un pelle, moi je prends un bidon d'acide » . On s'amuse aussi beaucoup devant un Benoit Poelvoorde en chercheur de trésor suffisant prospectant avec méthode sur les plages déserte. Impossible également d'oublier le tonitruant « prends moi » prononcé avec conviction par Anna Mougladis à Gerard Depardieu dans les toilettes d'un hôtel. Mais le moment le plus drôle reste l'entretien d'embauche de Miss Ming devant un Bouli Lanners atterré lorsque la jeune fille lui avoue que pour être originale elle avait eu l'idée de rédiger son CV sur du papier toilette avec le sang de ses règles.... Un humour parfois provocateur et trash mais qui est toujours au service de l'univers et du sujet du film.

     

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    Mais plus encore que par son sujet, son regard sur la société et son humour c'est ce sentiment de profonde et indéfectible mélancolie qui fait de Mammuth un film à part et profondément attachant. Une mélancolie parfois lyrique renforcé par la très belle musique composée par Gaetan Roussel et qui vous colle à la peau très longtemps après la fin du film. Mammuth est pourtant un film qui ne fait rien pour séduire le public, son image est brut et granuleuse, son sujet est âpre, ses personnages sont bien ordinaires mais son cœur est tellement pur qu'il bat à travers l'écran d'une pulsation qui touche à l'intime nous laissant en face de nos propres vies, de nos propres choix et de ce temps qui passe.... Mammuth est un très grand film, un de ceux qui vivent bien au delà de l'écran et du temps d'une projection, un film qui donne à réfléchir sur soit et sur le monde tout en donnant l'envie profonde de prendre du temps pour aimer, créer et simplement respirer l'air avarié du temps présent.

     

    Ma note: 8,5/10

     

     

     

     

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