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ENTER THE VOID de Gaspar NOE
Gaspar Noé, l'enfant terrible du cinéma français revient donc sur le devant de la scène huit ans après l'électrochoc Irréversible. Un nouveau projet hors normes que le réalisateur porte en lui depuis plus de quinze ans et qui est passé de ce fait par un grand nombre de réécriture. Gaspar Noé propose rien de moins avec Enter the void que de visualiser le voyage post mortem d'un jeune homme dont l'âme errante cherche une porte de sortie dans Tokyo.
Enter the void c'est donc l'histoire d'Oscar un jeune homme qui vit à Tokyo avec Linda sa sœur qui travaille comme stripteaseuse. Oscar vit de petit deal de drogues afin de survivre et permettre à sa jeune sœur ,qu'il a juré de ne jamais quitté après la mort de leurs parents, de rester près de lui. Pourtant un soir Oscar reçoit une balle après une descente de police, son âme se refuse alors à quitter ce monde et commence à planer au dessus de Tokyo afin de rester le plus longtemps possible proche de Linda.
Enter the void propose donc de voir la mort comme un long trip hallucinatoire et désespéré. On regretteras juste que d'emblée Gaspar Noé donne via un dialogue une explication complète et didactique de son film lorsque Alex (Cyril Roy) explique à Oscar les différentes étapes du voyage de l'âme selon Le livre des morts tibétains. C'est assez surprenant de voir Gaspar Noé plutôt habitué à bousculer les sens et les repères des spectateurs venir leur livrer clefs en main le parfait petit guide pour comprendre le film. On sait donc très vite et d'une manière un peu étrange exactement là ou le film va nous emmener au bout de vingt minutes et Gaspar Noé ne déviera jamais la trajectoire décrite. Après la manière de nous embarquer et sans le moindre doute beaucoup plus importante pour Gaspar Noé que la connaissance de l'itinéraire.
Enter the void est un film absolument bluffant dans sa mise en scène et ressemble de ce fait à un film concept et un défit technique permanent défiant totalement les lois de l'apesanteur. Le film utilise le plus souvent un point de vue subjectif et des longs plans séquences, certes bidouillés, mais totalement sidérant dans leur continuelle fluidité. Qu'il suive le parcours d' Oscar jusqu'à sa mort à travers son propre regard ou qu'il épouse le flottement de son âme dans une continuelle plongée, Enter the void est juste une constante et magnifique leçon de mise en scène. Gaspar Noé abandonnera la vue subjective juste le temps d'une longue séquence durant laquelle Oscar, constamment filmé de dos en plan moyen, revoie défilé sa vie dans une sorte de kaléidoscope de souvenirs. Techniquement, visuellement, artistiquement et d'un point de vue conceptuel Gaspar Noé livre un film à la fois totalement originale, immersif et quasiment irréprochable. Le film se voulait fascinant et hypnotique et la radicalité du travail de Noé permet de capter le regard du spectateur pour ne plus jamais lui laisser l'occasion de quitter les yeux de l'écran. Du fabuleux générique de début au final du film on reste comme fasciné par ce voyage sans retour ou presque qui nous transporte en flottant au dessus des bâtiments, à travers les murs et les corps. Le film comporte quelques séquences sidérantes en matière de mise en scène comme la scène en vue subjective de Oscar devant un miroir qui est tout bonnement extraordinaire. On retrouve au générique du film l'excellent Benoît Debie au poste de directeur de la photo, Marc Caro qui occupe le double poste de directeur artistique et chef décorateur et Thomas Bangalter du groupe Daft punk au poste de compositeur et bruiteur.
Gaspar Noé est un cinéaste à part avec un univers identifiable et reconnaissable entre mille et l'on retrouve dans Enter the void les composantes des précédents films du réalisateur. Le début du film est rythmé par la voix off d'Oscar comme celle du boucher dans Seul contre tous, on retrouve également ses fréquences de basses, ce son agressif et cette musique électronique qui vous tape dans le ventre, ses lumière clignotantes et psychédéliques qui vous dilatent les pupilles comme une agression, ses personnages borderline en proie aux drogues et aux expériences limites, le film flirte aussi avec les fantômes de l'inceste comme dans Seul contre tous à travers la relation parfois trouble entre Oscar et Linda. On retrouve également les références trash aux expériences sexuelles de la communauté gay, le goût des scènes chocs et des séquences utilisant ouvertement et explicitement l'imagerie de la pornographie. Pourtant Gaspar Noé ne donne jamais la sensation de radoter ses obsession et son cinéma, juste de creuser le sillon fertile de son univers si particulier.
Enter the void est un voyage qui tourne comme une boucle temporelle, un film exigeant qui laissera incontestablement plus d'un spectateur à quai. Entre les visions hallucinatoires de Oscar en plein trip après avoir ingurgité de la drogue et sa dérive vaporeuse de plus en plus chaotique et trouble dans un monde qu'il refuse de quitter Enter the void est un film qui donne à ressentir bien plus qu'il ne donne à voir. C'est presque devenu un cliché qu'on nous sort à toutes les sauces dès l'instant qu'un réalisateur nous balance une grande séquence abstraite dans un film (Blueberry, Martyrs) mais Enter the void a vraiment quelque chose à voir avec 2001 l'odyssée de l'espace de Kubrick, un film que Gaspar Noé cite d'ailleurs ouvertement comme référence à son film. Enter the void est un film subjectif qui ne se contente jamais de montrer simplement ce que voit son personnage mais ce qu'il ressent dans les différentes phases d'une errance intime.
Pourtant aussi brillant soit il dans sa forme et dans la maestria de sa mise en scène il manque à Enter the void une composante essentielle pour en faire un chef d'œuvre et cette petite chose qui manque tellement au film c'est incontestablement l'émotion. Si le film comporte des scènes marquante et inoubliables comme l'hallucinante séquence du grand huit se terminant sur le crash de voiture et la violence avec laquelle elle est ressentie par Linda et Oscar alors encore enfants, Enter the void ne prend jamais aux tripes comme les précédents film du réalisateur. J'aime Gaspar Noé lorsqu'il me plonge la tête dans le saut putride de la haine ordinaire et rance dans Seul contre tous ou lorsqu'il transforme la monstrueuse descente aux enfers de Irréversible en une bouleversante ascension vers un paradis perdu, mais dans Enter the void l'émotion est malheureusement plus diffuse et bien moins radicale. Les films de Noé supporte peut être mal la demi mesure et j'avoue que pour moi c'est déjà une déception d'être ému lorsque l'on s'attend à être totalement bouleverser. Le film comporte pourtant son lot de scène chocs, d'images marquantes, d'émotions mais tout est bien moins fort que la simple puissance des images qui du coup tourne parfois un peu à vide (Sans mauvais jeu de mots) surtout que le film dure sur un concept de boucle plus de deux heures trente. Fort heureusement le film se termine sur l'un des happy end les plus nihiliste que j'ai pu voir au cinéma avec ce laconique et définitif Enter the void en guise de seul et unique générique de fin.
Encore une fois Gaspar Noé innove, déroute et divise les opinions avec une violence dont sont victimes bien peu de réalisateurs. Lorsque je lis sur le net avec quelle degré de haine et de violence verbal certains vomissent Enter the void je comprends que le film mérite quoi qu'il arrive d'être défendu ne serait ce que pour sa capacité à remuer les opinions et déranger les esprits trop formatés. Enter the void reste quoi que l'on puisse penser du film et de son réalisateur une nouvelle preuve éclatante que Gaspar Noé est l'un des cinéaste les plus singulier et les plus talentueux de notre époque. En dépit d'une relative déception dû au manque d'implication émotionnelle Enter the void est un film qui reste gravé dans les mémoires et dont il est difficile de totalement s'affranchir, un grand film tout simplement
Ma note 08/10
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