• Prisoners de Denis Villeneuve

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    Prisoners

    de Denis Villeneuve

    USA - 2013 - Drame / Thriller

    Prisoners de Denis Villeneuve

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     (Attention cette critique contient quelques spoilers et éléments susceptibles de gâcher le plaisir de futurs spectateurs. Il est donc fortement conseillé d'avoir vu le film avant d'entamer sa lecture)

    Pour son premier film américain le réalisateur québécois Denis Villeneuve se frotte au thriller à forte densité dramatique puisqu'il est ici question d'enlèvements d'enfants. Le film qui traîne depuis presque 5 ans à l'état de projet fût dans un premier temps proposer à Bryan Singer avant de finalement se retrouver dans les mains de Denis Villeneuve. Depuis sa sortie en salle Prisoners ne cesse d'être rapproché à des films cultes du genre tels que Seven, Mystic river où encore Le silence des agneaux; des références certes pertinentes mais qui écrase un peu la personnalité propre du film de Villenuve sous le poids d'un jeu de comparaisons pas toujours à son avantage. Prisoners est moins brillant et diabolique que Seven, moins bouleversant que Mystic river mais il reste en tant que thriller et drame un très bon film qui mérite d'être vu et défendu sans fatalement le rapprocher de ses illustres modèles.

    Prisoners raconte l'histoire de la disparition mystérieuse de deux fillettes un soir de thanksgiving dans la banlieue de Boston. Un suspect est très vite arrêté mais il sera relâché presque aussitôt fautes de preuves suffisantes... Commence alors une redoutable course contre la montre pour retrouver les deux fillettes avec d'un coté un flic tentant de mener son enquête et de l'autre un père de famille désespéré qui décide de séquestrer et faire parler le suspect relâché par la police.

    Prisoners est un film dans lequel la part du thriller labyrinthique et celle du drame humain se côtoient parfaitement, chacune se nourrissant de l'autre pour créer un univers globale parfaitement cohérent. L'intensité du thriller est renforcée par la dimension purement dramatique des événements et la puissance du drame s'appuie sur l'inéluctable compte à rebours engageant la survie de ses deux petites filles. Denis Villeneuve peut dès lors nous embarquer dans un récit qui va mettre à mal les questionnements moraux et les nerfs des spectateurs tout autant que ceux de ses personnages. Particulièrement malin, le film nous offre alors deux points de vues différents à travers deux personnages distincts mais pourtant à la recherche d'une même et unique vérité. Nous avons d'un coté l'inspecteur Loki ( Jake Gylenhaal) qui ne sera caractérisé durant tout le film que par son travail et sa fonction qui représente l'ordre, la procédure et la loi avec toute ses restrictions et de l'autre un père de famille aussi enragé que désespéré (Hugh Jackman) qui va s'appuyer sur sa foie, sa colère et sa détermination aveugle afin de retrouver sa fille. Une opposition de caractères entre le cœur et la raison, la justice et la vengeance que Denis Villeneuve a la très bonne idée de ne pas opposer de manière trop manichéenne laissant à ses personnages des parts d'ombres et de doutes qui les rendent profondément attachant et ambivalents. Hugh Jackman trouve sans doute le plus beau rôle de sa carrière à ce jour avec ce père de famille capable de devenir un monstre tout en récitant la bible sur ses seules convictions de détenir la vérité. Le spectateur sera forcément confronté à de douloureux dilemmes moraux devant les éprouvantes scènes durant lesquelles Keller Dover (Hugh Jackman) tabasse et torture Alex tout en le suppliant les larmes aux yeux de le délivrez du poids d'être obligé de le faire. Impossible aussi d'oublier la séquence où ce même Keller Dover récite une prière à genoux et butte sur la phrase « pardonnez nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » …. Entre foie humaniste et désir sauvage d'une justice expéditive à grands coups de poings dans la gueule du premier bouc émissaire venu, Denis Villeneuve dresse aussi le tableau d'une Amérique malade de ses propres démons de violence.

    Si tout le monde encense et à juste titre les performances de Jake Gylenhaal et Hugh Jackman  il ne faudrait pas oublier les seconds rôles du film à commencer par le formidable Terence Howard absolument bouleversant en père de famille totalement perdu entre ses convictions intimes de justice et les agissements expéditifs de son ami. Le comédien parvient parfois à tout faire passer dans un simple regard comme lorsqu'il entends avec effroi et les larmes aux yeux le son du klaxon du pick-up de Keller Dover lui annonçant qu'il doit retourner tabasser Alex Jones interprété par un Paul Dano suffisamment tordu et ambivalent pour rester constamment un potentiel véritable suspect. On retrouve aussi avec beaucoup de plaisir la trop rare Maria Bello (A history of violence) même si son rôle de mère éplorée, dépressive, passive et alitée manque vraiment de force et de caractérisation. Le rôle de Nancy Birch interprétée par Viola Davis tout en étant proche de celui Maria Bello s'avère être pour sa part bien plus touchant et complexe. Et puis en terminer avec le casting du film je voulais citer Wayne Duvall pas tant pour sa performance d'acteur mais pour le personnage du capitaine Richard O'Malley froidement et cyniquement procédurier à qui l'on doit les très rares sourires du film.

    Coté thriller, Prisoners réussit l'exploit d'être à la fois limpide et labyrinthique offrant une intrigue complexe tout en restant parfaitement cohérente. A bien y réfléchir le film livre même aux spectateurs suffisamment de clefs et d'indices forts pour lui permettre de confondre le coupable après moins d'une heure de film. Le savoir faire de Denis Villeneuve est alors de brouiller les cartes et les pistes avec talent et surtout d'emmener le spectateur sur un terrain émotionnel afin de le perdre dans les nombreux rebondissements de l'histoire sans lui laisser le temps d'approfondir sa réflexion. Prisoners s'avère donc être un thriller assez anxiogène et palpitant baignant dans une ambiance froide et cafardeuse d'un hiver éternellement pluvieux. Il faut donc saluer le très joli travail du directeur de la photographie Roger Deakins ( True grit - The villageNo country for old menJarhead - Fargo) et du compositeur Johann Johannson (Mama) les deux contribuant grandement à l'ambiance angoissante et triste du film. Les petits pavillons de banlieue que l'inspecteur Loki visitera durant son enquête se transformeront alors sous l'efficacité de la mise en scène de Villeneuve en de terrifiants repères semblant cacher derrière chaque portes d'innommables horreurs. Le spectateur se retrouve complètement happé par cette enquête et ses répercutions dramatiques se faisant totalement balader par le savoir faire indéniable de Denis Villeneuve à orchestrer des moments de tensions suffocants comme l'éprouvante course de Loki vers les urgences sous une pluie battante alors que le sang d'une blessure au cuir chevelu lui brouille la vue. Et tant au niveau du suspens que de l'émotion Prisoners regorge de moment forts comme la découverte du visage tuméfié d'Alex Jones, l'exploration de la maison de Bob Taylor (David Dastmalchian) ou l'éprouvante séquences d'identifications des vêtements.

    Malheureusement lorsque l'on propose un film avec un tel degré de tension dramatique et de suspens il convient souvent d'aller jusqu'au bout quitte à achever le spectateur dans une abyssale noirceur. Ce n'est objectivement pas le cas de Prisoners qui semble soudainement s'évertuer à proposer une fin globalement positive mais pas totalement en adéquation avec l'ensemble du film avec une utilisation de raccourcis un poil trop trop évident pour faire avancer l'intrigue comme la fuite bien opportuniste d'une des deux petites filles. Cet artifice permet de faire planer un temps le doute sur une éventuelle implication de Keller Dover mais le pivot scénaristique apparaît tout de même un peu grossier. La révélation finale aussi inattendue soit elle laissera elle aussi un poil perplexe devant le manque de charisme du coupable et surtout devant ses motivations bien troubles et peu approfondies. Une fois sorti de la projection et en remettant la globalité du film en perspective avec la résolution de l'enquête une foule de questions et de pourquoi commence à nous envahir l'esprit révélant les quelques facilités d'écriture du film. Pourquoi avoir si longtemps gardé les fillettes en vie ? Pourquoi les parents ne reconnaissent pas que les vêtements en photo ne sont pas ceux que les fillettes portaient au moment de leur disparition ? Pourquoi se soucie t-on si peu de la disparition d'Alex Jones ? Pourquoi les serpents ? Comment ce même Alex Jones a t-il pu entendre la version de Jingle bells des deux fillettes ? Pourquoi le coupable semble t-il se laissait prendre alors que rien n'indique que l'on vienne pour l'arrêter ? Pourquoi au lieu de sonder inlassablement les bois les policiers n'ont pas fait une simple enquête de voisinage qui aurait révélé le trouble de Bob Taylor ? Sans remettre en cause la qualité global du film il est certain que la fin de Prisoners est particulièrement décevante pas seulement parce qu'elle refuse soudainement la noirceur de son propos mais aussi parce qu'elle révèle toutes les petites malices de son scénario destiné non plus à servir l'histoire mais à embrouiller un peu le spectateur.

    Globalement Prisoners reste un très bon thriller dense et intense, éprouvant et émouvant ; le film de Denis Villeneuve servi par un casting parfait et une direction artistique assez irréprochable rate de peu le statut de classique instantané à cause d'une fin qui refuse in extremis toute la noirceur mise en place pendant plus de deux heures.

    Ma note 08/10

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 31 Octobre 2013 à 14:21
    Juste pour te donner mon opinion sur tes differents questionnements ;-)

    Pourquoi avoir si longtemps gardé les fillettes en vie ?
    Parce que le but du tueur n'est pas seulement de tuer ces gosses, mais aussi de les torturer mentalement, de detruire leur innocence (cf "l'epreuve du labyrinthe")

    Pourquoi les parents ne reconnaissent pas que les vêtements en photo ne sont pas ceux que les fillettes portaient au moment de leur disparition ?
    Me rappelle plus de ce passage. Mais en tant que pere, je peux te dire que c'est pas le genre de details qu'on note. Les fringues des enfants, ca va ca vient et on ne retient pas forcement ce qu'ils portent tel ou tel jour. D'ailleurs, demande-toi ce que toi-meme tu portais il y a 3-4 jours...

    Pourquoi se soucie t-on si peu de la disparition d'Alex Jones ?
    Parce que l'enquete pour retrouver les gamines mobilise tous les esprits et que les evenements s'enchainent tres vite. Et puis Loki s'en soucie, lui, on le lui reproche d'ailleurs plusieurs fois.

    Pourquoi les serpents ?
    C'est le symbole de la corruption dans la Bible, et le tueur corrompt l'innocence de ces gosses, cf ta premiere question.

    Comment ce même Alex Jones a t-il pu entendre la version de Jingle bells des deux fillettes ?
    Parce qu'il a certainement aide le tueur a les capturer, comme celui-ci l'explique a la fin du film. En plus, on voyait clairement au debut du film des passages en vue subjective, indiquant que quelqu'un observait les familles avant l'enlevement.

    Pourquoi le coupable semble t-il se laisser prendre alors que rien n'indique que l'on vienne pour l'arrêter ?
    Parce que Loki l'a trouve en train de droguer la fillette, donc de toute evidence il sait qu'il va etre arrete...

    Pourquoi au lieu de sonder inlassablement les bois les policiers n'ont pas fait une simple enquête de voisinage qui aurait révélé le trouble de Bob Taylor ?
    Parce que c'est une ville assez grande, que tout pointait en direction d'Alex, et que Bob Taylor ne vivait pas forcement aux alentours de la scene de crime. Aucune raison de faire une enquete de voisinage sur quelqu'un dont personne n'a entendu parler et qui n'est pas suspect...
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    2
    FreddyK
    Jeudi 31 Octobre 2013 à 20:19

    Bon alors !


    Je t'accordes facilement que ton explication pour les fringues des fillettes tient la route et que pour l'enquête de voisinnage et la disparition de Alex tes explications en valent bien d'autres puisque plein de choses sont de toute manière laissées à l'imagination du spectateur.


    Pour le fait de garder les fillettes en vie, j'ai l'impression qu'il n'est jamais vraiment question de tourmenter et torturer mentalement les gosses, les motivations sont plus de pervertir la foie d'une personne en s'attaquant à l'innocence. Une lutte contre Dieu et les croyances de Keller Dover plus que véritablement contre les gamines, enfin pour ce que j'ai compris des motivations troubles du tueur.


    Pour Jingle Bells en revanche rien ne tient vraiment la route car observer OK, mais là c'est à croire qu'il était carrément dans le salon. Que Alex est participé directement ou indirectement à l'enlèvement est un fait mais j'imagines mal les gamines une fois kidnapées lui chanter la chanson. Après on pourra supposer que c'est Keller Dover tellement obsédé par sa quête qu'il  semble entendre les paroles sauf que tous les spectateurs font de même, du coup même là ça ne fonctionne pas.


    Loki surprend certes le coupable en train de droguer la fillette mais c'est bien après qu'il est frappé à la porte. Le coupable préfère alors aller droguer la fillette en laissant la porte bien ouverte plutôt que de recevoir Loki comme si de rien n'était. Donc ma question reste toujours sans réponses.


    J'ai beaucoup aimé Prisonners mais je trouve que la mécanique est moins implacable et indiscutable que dans Seven par exemple, là il y-a beaucoup de choses qui restent à la libre interprétation des spectateurs.


     

    3
    Vendredi 1er Novembre 2013 à 09:53

    Je suis d'accord que la mecanique est largement moins implacable que dans Se7en, mais je ne pense pas qu'il y ait tant de trous de scenario.

    Le fait de garder les fillettes en vie fait par exemple clairement partie du modus operandi du tueur. Certes il detruit la foi des parents, mais dans certains flashbacks on voit qu'il s'amuse aussi a torturer mentalement les gosses en leur promettant la liberte s'il reussissent a resoudre le labyrinthe.

    Pour le fait que Loki surprenne le tueur, il me parait credible que celui-ci n'ait pas entendu frapper a la porte, ou alors qu'il ait decide de definitivement tuer la fillette en entendant Loki arriver. Un dernier acte de cruaute, complete par le fait de se laisser eliminer: s'il meurt, il ne pourra pas avouer combien de gosses il a enleve au fil des annees et n'apportera pas de 'reconfort' aux familles dans l'incertitude. Ce final m'a d'ailleurs pas mal fait penser a celui de La Secte sans Nom de Balaguero, dans le refus du tueur de faire un dernier acte de bonte.

    Pour ce qui est du Jingle Bells, on peut imaginer que les fillettes n'ont pas ete enlevees immediatement apres etre sorties de la maison, et qu'elles le chantaient dans la rue, ou qu'Alex les a approchees de facon innocente en leur demandant ce qu'elles chantaient. Un bon moyen de les conduire ensuite jusque dans le camping car...

    4
    FreddyK
    Vendredi 1er Novembre 2013 à 18:43

    On peut imaginer, on peut imaginer .... Je suis bien daccord avec toi et c'est bien ça ce que je reproches au film, le fait de laisser aux spectateurs le soin de boucher les trous.

    Toutes tes explications peuvent être parfaitement entendues mais franchement elles ont du mal à me convaincre totalement surtout pour Jingle bells .

    Concernant le fait que le tueur se laisse prendre en  y réfléchissant on peut effectivement y trouver une certaine logique avec la fillette qui s'est échappée, qui a pu témoigner ce qui expliquerait que le tueur pense alors que l'on vient le capturer.

    Le film rejoindra de toute manière ma collection de Blu-ray et sans vouloir le disséquer je suis impatient de le revoir avec toutes mes questions en tête .

    5
    Jim smith
    Mardi 1er Mars 2016 à 10:46
    Bonjour
    Pour moi l'idée majeur est le labirinthe. Comment sortir de la dicotomie entre le bien et le mal ! Voilà le labirinthe. Le scénario fait effectivement tout (même tricher) pour nous perdre. On ne sait plus si le pere qui torture à tord ou raison, si on ferait pareil ou pas, si on se laisserai tenter etc...
    Le réal triche parce que son discours est ailleurs : sommes nous capables (même en tant que spectateur) de sortir de ce labirinthe ? Le mal et le bien, sommes nous capable de les distinguer ?
    Voilà pour moi le sens du film et l'explication de ses contradictions effectivement balourdes.

    Et les serpents sont aussi là pour nous rappeler de quoi on parle comme il est justement dit dans un commentaire : symbolique du poison, la corruption etc

    En gros le labirinthe est pour nous ainsi que les serpents.
    6
    Romane
    Mercredi 28 Décembre 2016 à 02:53
    Quand on regarde plus attentivement le film on se rend compte que toute les réponses à vos questions sont dedans.
    La vieille ne reçoit pas Loki comme si de rien était car elle sait que la fillette s'est échappé et de plus elle entend clairement le policier arriver, pas d'interprétation différente possible.Sachant que la fillette est juste à côté dans une pièce de la maison, il est plus prudent pour la vieille de finir le boulot plutôt que d'accueillir tout à fait normalement un policier chez elle.
    Pour la chanson, la réponse est donné par la vieille à la fin. "Il voulait les emmener faire un tour" Alex à juste voulu s'amuser avec les fillettes et c'est sa tante qui les a ensuite kidnappé.
    Je trouve que les réponses données dans les autres commentaires sont très satisfaisantes. Un visionnage très attentif ne laisse pas énormément de questions planer.
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